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Sangoulé Lamizana, vingt ans après : l’empreinte d’un soldat de la République

Publié le par FASO PATRIOTES TV

Il y a vingt ans disparaissait dans la discrétion l’un des acteurs majeurs de l’histoire politique postcoloniale du Burkina Faso. Aboubacar Sangoulé Lamizana, général de corps d’armée, ancien chef de l’État de la Haute-Volta de 1966 à 1980, s’éteignait à l’âge de 89 ans, laissant derrière lui une empreinte indélébile dans les arcanes de la mémoire collective. Deux décennies plus tard, le souvenir de l’enfant de Dianra reste vivace, nourri par les traces tangibles de son engagement, les leçons d’une époque, et les interrogations d’une jeunesse en quête de repères.

Le Général Aboubacar Sangoulé Lamizana (Photo AIB)
Le Général Aboubacar Sangoulé Lamizana (Photo AIB)

Du Sourou aux champs de bataille coloniaux

Rien, en effet, ne semblait prédestiner le jeune garçon né le 31 janvier 1916 dans la modeste localité de Dianra, au cœur du Sourou, à accéder un jour à la magistrature suprême de son pays. Issu d’un milieu rural, Lamizana fait preuve d’une discipline et d’une rigueur peu communes dès ses années de formation. Après ses études primaires, il rejoint l’École des officiers africains de Saint-Louis, au Sénégal — l’un des rares tremplins offerts alors aux Africains pour accéder à un commandement militaire sous la tutelle coloniale.

Enrôlé dans l’armée française en 1936, il y gravit méthodiquement les échelons, forgeant son autorité et sa réputation au gré des campagnes militaires. L’Indochine, entre 1950 et 1954, puis l’Algérie, de 1956 à 1959, furent autant de théâtres d’opérations qui trempèrent le caractère de l’homme, tout en lui inculquant un sens aigu de la hiérarchie, de la loyauté et de la discipline — des vertus qui guideront plus tard son engagement au service de son pays.

Le militaire bâtisseur de l’armée nationale

À l’indépendance de la Haute-Volta, le 5 août 1960, la jeune République fait face à un défi majeur : la structuration de ses institutions, en particulier la consolidation de l’armée nationale. Le 1er novembre 1961, Lamizana est nommé chef d’état-major général des forces armées, avec le grade de lieutenant-colonel. Cette fonction le place au cœur de l’appareil sécuritaire du pays. C’est à ce poste stratégique qu’il participera à la mise en place de l’armée voltaïque, en veillant à en faire une institution républicaine, professionnelle et loyale.

Mais l’histoire précipitera son destin. Le 3 janvier 1966, dans un climat de grogne sociale exacerbée par l’austérité et la gouvernance autoritaire du président Maurice Yaméogo, un vaste soulèvement populaire balaie le régime. La rue appelle l’armée à assumer ses responsabilités. Le haut commandement répond à l’appel et, en chef discipliné, Sangoulé Lamizana se résout à prendre les rênes du pays.

L’homme du juste milieu

Contrairement à bien des chefs militaires africains de son époque, Lamizana n’entend pas s’éterniser au pouvoir par la force des armes. Dans ses premières déclarations, il s’engage à restaurer l’ordre public et à œuvrer à une transition vers un régime civil. Il gouverne dans un style sobre, conciliateur, parfois jugé trop prudent, mais rarement arbitraire. Dans un pays miné par la sécheresse, l’instabilité économique et les rivalités politiques, il tente de préserver la cohésion nationale.

Réélu en 1978 lors des premières élections pluralistes post-indépendance, il reste confronté à une conjoncture difficile : crise alimentaire, déséquilibres budgétaires, montée des revendications syndicales. Le 25 novembre 1980, un nouveau coup d’État, orchestré par le colonel Saye Zerbo, met fin à son long magistère. Il quitte le pouvoir sans violence, ni effusion de sang, fidèle à cette posture de dignité qui a toujours été la sienne.

L’homme et le mythe

Accusé de malversations financières dans les années qui suivirent, Lamizana est blanchi en janvier 1984 par le Tribunal populaire de la Révolution. Son honneur restauré, il choisit le silence et la retraite, refusant de se mêler aux tumultes de la politique burkinabè des années Sankara puis Compaoré.

Il s’éteint le 26 mai 2005 à Ouagadougou, presque dans l’anonymat, alors que le pays, déjà fracturé par de multiples tensions, se préparait à d’autres secousses.

Vingt ans plus tard, les hommages se multiplient. L’université Sangoulé Lamizana, inaugurée en 2011, porte son nom. Plusieurs établissements scolaires, centres de formation militaire et infrastructures routières lui rendent également hommage. Mais au-delà des plaques commémoratives et des bustes de bronze, c’est l’idée d’une autorité sobre, dévouée et profondément enracinée dans le sens de l’État que retiennent les générations d’aujourd’hui.

Un héritage en débat

Certes, les historiens nuancent son bilan. On lui reproche parfois une certaine passivité face aux défis économiques, et une transition démocratique inachevée. Mais tous s’accordent à reconnaître son attachement à la stabilité, sa probité personnelle et sa volonté d’éviter l’effusion de sang — une rareté dans l’histoire des coups d’État africains du XXe siècle.

À l’heure où le Burkina Faso est une fois de plus en quête de refondation, la figure de Lamizana réapparaît dans le débat public. Elle convoque une mémoire à la fois militaire et républicaine, une leçon de tempérance dans une époque souvent tentée par les extrêmes.

Loin des clameurs, Aboubacar Sangoulé Lamizana demeure ce soldat de la République que l’histoire, parfois oublieuse, redécouvre avec gravité et respect. Une sentinelle du passé dont la stature pourrait encore, silencieusement, inspirer l’avenir.

Par Saidicus Leberger

Pour Faso Patriotes TV

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